Faux dans l’art et simulacre

Le faux dans l’art

Platon, lorsqu’il évoque le simulacre en philosophie et dans l’art, condamne le discours des sophistes qui renvoie à des images (mimésis) et qui s’éloigne de la vérité. C’est Aristote, qui dans sa Poétique,  reconnaitra qu’il faut d’abord se concentrer sur le plaisir esthétique d’une œuvre et que l’imitation est naturelle. En effet, la poésie est une imitation de l’histoire (L’Iliade d’Homère rend compte des événement de la guerre de Troie) et la physique est une imitation de la nature, puisqu’elle reproduit les lois qui la régissent.

Dans le film Comment voler un million de dollars, de William Wyler (1966), le faussaire Charles Bonnet dit à sa fille qui a peur que la fausse Vénus de Cellini ne soit découverte : « Mais pour être fausse elle n’en est pas moins vraie, puisque c’est la notre et qu’elle est authentique. »

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La Venus de Cellini

Les problématiques sous jacente de cette citation abordent la question ontologique, c’est à dire, la définition de l’art, et axiologique, la question de la valeur du point de vue de l’objet, qui peut être affective, historique, familiale etc.

De plus, dans cette phrase, le faussaire fait intervenir l’histoire de la production, qui est un élément déterminent entre faux et original (faux labels, fausse étiquette…) L’objectif est donc de déterminer si la connaissance de l’histoire de la production intervient dans la valeur d’une production, et de sa caractérisation comme « faux » ou « original ».

L’arrivée du numérique met en avant le problème du simulacre, et de la reproductibilité technique de l’œuvre d’art. Dans son livre La guerre du faux, Umberto Eco écrit que désormais :

« l’authenticité vantée n’est pas historique, mais visuelle. Tout semble vrai donc tout est vrai ; en tout cas, il est vrai que tout semble vrai, et qu’on donne pour vraie la chose a laquelle tout ressemble, même si, comme dans le cas d’Alice au Pays des merveilles, elle n’a jamais existé. »

Le troisième axe soulevé par la phrase extraite du film, c’est le fait que le faussaire a reproduit une sculpture. Le premier exemple de faux dans la littératur et qui constitue la légende du faux à la Renaissance, est le faux cupidon, par Michel Ange vendu a un collectionneur. Vasari, peintre et architecte de la Renaissance, dira de celle-ci qu’il s’agit d’un « faux antique mais d’un vrai Michel Ange. »

Au XXème siècle, il y’a une chasse au faussaire, lié au concept d’imitation. La problématique de « l’originalité » d’une œuvre n’est que toute récente. Le faux présuppose toujours une nouvelle idée du faux, dans la mesure où l’art est une imitation de l’art. La métaphore la plus courante pour caractériser l’écrivain – qui lui fera du pastiche -ou encore l’artiste – qui procèdera à l’imitation – est celle de l’abeille. Ils se nourrissent de chaque œuvre qu’il peuvent voir et lire pour ensuite produire une bonne imitation, qui ne sera pas esclavage. Proust, ou encore Genette ont écrit sur le sujet de l’imitation comme apprentissage d’un art.

Toutefois, le faux dans l’art, ou toute problématique relative à la fausseté, pose la question de ce qui « est » et ce qui « n’est pas », de l’être et du non être. Ceci rejoint la philosophie de Platon, et permet une mise en parallèle avec le web. Sophistes (qui possèdent la science de l’apparence sur toutes choses et non sur la vérité elle-même), simulations, vérité, mensonge : les réflexions du philosophe sont réhabilitables aujourd’hui.

Le simulacre dans notre société… Retour sur le mythe de la Caverne

Le sophiste et le peintre se situent tout deux du côté de l’apparence. En effet, le peintre produit des imitations des choses, et les sophistes, grâce à l’art de la contradiction, se font passer pour savant, tout en se voulant omniscient aux objets du discours. Cependant l’apparence ne fonctionne pas de la même manière pour le peintre que pour le sophiste. Pour le peintre, la ressemblance relie la peinture au modèle. De fait, l’apparence se réfère au « faire » du peintre. Quant au sophiste, il se fait passer pour autre qu’il n’est : l’apparence se refère à son être. Ceci ne prend donc pas la même ampleur. Le sophiste agit négativement sur la société.

L’apparence – qui signifie ne pas être la chose que l’on parait- est un thème important puisqu’elle inclue à la fois l’être et le non être. Pour Platon, l’image est un langage mais il n’y a pas de représentation picturale qui soit l’équivalent de la négation. Lorsqu’on est face à un tableau, réalité vraie et réalité picturale ne peuvent être confondues, puisque nous sommes capable de voir que ce qu’il y’a autour du cadre n’est pas la même chose que ce qui est représenté dans le tableau.

Ainsi, le faux relève du « non être », mais n’est pas le contraire de l’être. Le non être est une forme qui intervient dans toute réalité pour la déterminer. Elle détermine, mais négativement. Aujourd’hui, l’utilisateur d’internet, le spectateur cinématographique, est assimilable aux prisonniers du mythe de la caverne de Platon.

En effet, Socrate, dans La République, nous présente des hommes qui vivent dans une caverne enfouie sous la terre, ouverte sur le ciel. Ceux-ci sont enchainés et ne peuvent ni tourner la tête ni se déplacer, et sont forcés de regarder les parois du fond de la caverne. Un feu est allumé dans leur dos, plus en hauteur, et entre eux et le feu, se déplacent d’autres prisonnniers qui ignorent les premiers. Ces prisonniers portent des objets, des statuettes, dont les ombres se déportent sur les parois, à l’instar d’un jeu de marionnettes.

L’homme moderne est fasciné, et dépendant du simulacre. Celui-ci représente la copie non pas du modèle d’une réalité, mais de son apparence. Il n’y a pas de reproduction intrinsèque de l’objet, mais celle de l’effet produit par l’objet. Le simulacre se distingue de la copie, qui est une image qui reproduit qiu conserve les proportions du modèle, dans un souci de fidélité. Ainsi, Jean-François Mattei, dans La puissance du simulacre, établit un parallèle entre les prisonniers de la caverne de Platon et le public confronté à l’univers numérique:

« La fascination pour les simulacres visuels, dont témoigne la passion avec laquelle les prisonniers s’attachent aux ombres au point de tuer celui qui cherche à les en délivrer, conduit les écrivains, conduit les dramaturges, avant qu’interviennent les ingénieurs et les savants, à imaginer des mécanismes qui baigneraient les spectateurs dans un rêve permanent. » (p 51)

Il s’agirait alors d’une inversion de la tradition philosophique, qui place la puissance dans le logos, comme « ontologie substantielle » qui lierait connaissance et être, dans la mesure où le mythe de la caverne représente le chemin vers la connaissance, vers le vrai. Jean-François Mattei évoque un « renversement du platonisme » qui s’oriente plutôt vers ce qu’il nomme une « ontologie virtuelle », puisque les hommes semblent vouloir substituer le simulacre à la réalité même. Le danger, c’est que celui-ci n’en est pas qu’une copie dégradée, mais recèle d’une « puissance qui nie et l’orignal et la copie, et le modèle et la reproduction » qui anéantirait la réalité même. (G.Deleuze, Platon et le Simulacre, p357). De nombreux auteurs dénoncent cette montée en puissance d’un faux réel qui viendrait détruire notre réalité comme un château de carte. Ce phénomène se traduirait par une « déterritorialisation », un processus qui n’est apte qu’a créer des flux mouvants et des agencements instables de réalités : des simulacres. Jean-François Mattei ajoute :

« Qu’est ce alors que simuler? C’est produire un effet sans cause qui nie sa différence avec l’être simulé pour convaincre le spectateur de sa propre réalité. » (p 71)

La copie est une image qui reproduit qiu conserve les proportions du modèle. Celui-ci se retrouve dans l’image dans un souci de fidélité. Le simulacre est la copie non point du modèle mais de son apparence. Il n’y a pas de reproduction intrinsèque mais l’effet produit par l’objet. L’univers numérique place le simulacre avant sa cause même, et vient, de fait, se substituer à la réalité dont il puise son essence. Tous les référentiels sont donc réduits à néant. Baudrillard, dit que le simulacre annule « la différence du « vrai » et du « faux », du « réel » et de l’imaginaire ». » (J.Baudrillard, Simulacre et simulation). De fait, nous assistons à la mise en place de ce que Mattei nomme une « ontologie du simulacre », c’est à dire, d’une apparition qui ne désignerait plus une apparence, mais une vraie réalité. De fait, si être et vérité ne signifie plus rien, il n’existe plus de raison valable pour s’attacher à distinguer l’apparence du faux, car tout serait vrai.

Ainsi, ce constat est adapté à tous les domaines qui sous tendent une société, mais c’est l’art, désormais, qui est au coeur d’un nouveau paradigme.  En effet, la critique contemporaine se réclame de règles qui lui sont propres, alors que la valeur s’est toujours fondée, et est censée s’établir selon des lois communes à tous. Dans son article L’art contemporain et la fabrication de l’inauthentique, Nathalie Heinich écrit :

« L’art contemporain prend le contre-pied de cette exigence d’intériorité : tendances minimalistes ou géométriques, recherches formalistes et combinatoires mathématiques, expérimentations techniques ou ludiques transgressent l’impératif d’expression personnelle et d’impact émotionnel, notamment lorsqu’elles jouent physiquement avec la perception du spectateur. »

Il y’a donc un cloisonnement intrinsèque de la société, cloisonnement formant des groupes qui construisent leurs propres règles. Les productions d’un groupe deviennent « fumisterie » ou pur « faux » pour un autre, d’où l’incohérence du jugement de certains experts. Tout ceci ne peut qu’amener à des contradictions et à des jugements de valeur sans cesse erronés pour les uns ou les autres.

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